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TEXTES

Souvenirs

Je me souviens, la grande maison de Bordeaux envahie par le piano et le parfum de glycine au printemps. Enfance, adolescence rêveuses. Résultats fantaisistes en arts plastiques sauf au baccalauréat…C’est décidé je ferai l’artiste !

Je me souviens, Paris 1970. La maison en meulière des cousins qui m’hébergeaient dans une joyeuse affection aux environs de Paris. L’école Penninghen où nous étions avides d’approfondir notre passion. Rigueur !

Je me souviens. Agences de publicité. La vie y était intense avec légèreté. Découvertes !

Je me souviens, retour à Bordeaux, cours à l’I.A.E. Petits boulots. Déconvenues !

Je me souviens, 1976. Pau ; Quelques années dans la banque. Découverte de la musique polyphonique, du jazz, de l’occitan. Crayons de couleur et pastels. Nouveaux horizons !

Je me souviens, 1980. Paris froid et sombre, passants pressés attendus alors que moi j’étais maître de mon emploi du temps désespérément vide. Hôtel « à la journée », gardiennage de nuit. Dessins d’intérieurs chaleureux pour m’inventer un foyer. Envie de dessiner « le rien ». Ce que l’on ne remarque pas. Rêves, doutes !

Je me souviens, Michel Kellerman, collectionneur, expert de Derain. Confiance dans ma démarche. Découverte des dessins de Seurat. Sincérité !

Je me souviens, Caroline Corre. Accueil chaleureux et bohème. Familial. Caractère entier, généreux. Galeriste aimant et défendant ses artistes avec passion. Confiance, ouverture sur l’avenir. Amitié hors temps !

Je me souviens, 1986. Ghislaine et Vincent Dupuy. Premières expositions personnelles dans leur galerie. Aventure d’une amitié. Rencontre avec le public. Exigence !

Je me souviens, Marie-Dominique. La vie recommence. Son humour, son sourire, son dynamisme, son caractère…Mariage. Tout peut arriver !

Expositions en Belgique par son intermédiaire.

Je me souviens, Jacqueline et Louis Fréling. Collectionneurs attentionnés et fidèles qui poussent leur démarche jusqu’à exposer les artistes qu’ils soutiennent. Expositions à Genève. Rencontres.

Je me souviens, 1996. Didier Landowski. Fondeur collectionneur. Soutient ses sculpteurs et les artistes qu’il aime dans sa fonderie. Expositions amicales. Charme et détermination. Réflexions sur la sculpture.

Je me souviens, 1998. Etienne de Causans. Belle galerie. Expositions. Premiers collages de papier mâché. Espoirs !

Je me souviens, 1999. Inscription au Bénézit. Reconnaissance !

Je me souviens, 2002. « Villa Médicis » musée de Saint Maur. Rétrospective. Musée lumineux. Bilan merveilleusement présenté par Bernadette Boustany et Nadia Bonini conservateurs du musée. Réflexion sur la construction d’une démarche au sein de mes errances picturales. Angoisse devant l’avenir. Fierté de ma famille et de mes proches.

Je me souviens et je remercie tous les collectionneurs et néanmoins amis qui m’accompagnent. Réflexion sur le duo artiste-collectionneur. Sensibilité partagée.

Je me souviens et je remercie tous ceux qui ont exposé mon travail : galeristes, musées, municipalités et sponsors. Ils m’ont permis la poursuite du dialogue avec les amateurs.

Je me souviens et je remercie tous mes amis artistes qui m’ont démontré que la création est un apprentissage exigeant, mais quel plaisir !

François Crabit – Février 2003

 


Contrepoints

Depuis plus de trente ans, François Crabit parle de lui, du monde et de vous dans ses tableaux avec ses couleurs, sa lumière, sa matière, son travail.

Comme tout artiste, il a sa propre langue, son vocabulaire, sa propre musique pour exprimer ses émotions, pour partager son intimité avec ceux qui voudront bien écouter et voir.

François Crabit n’a pas toujours bonne réputation. Les mots qui rythment la vie des gens qui travaillent comme tout le monde, lui sont totalement étrangers et il ignore probablement le sens des termes comme « productivité », « rendement », « capitalisation ». Cet apparent dilettante, ce dandy collectionneur de gilets et de noeuds papillon est pourtant un travailleur acharné, capable de chercher des heures durant la pointe de lumière qui manque dans un tableau ; il est aussi ce passionné qui mettra une superbe toile de côté pour la reprendre des années plus tard, quand le temps, ayant fait son œuvre, lui aura donné le sens qu’obscurément il cherchait pour elle.

Artiste indolent, dévoré par son travail, François Crabit ne s’en tient pas à ce seul paradoxe. Il est lui-même en permanente contradiction : bon vivant et bohême dans la vie, il est rigoureux dans la composition de ses tableaux, avides de contacts humains, il est solitaire dans son travail. Il est aussi lent qu’il est intense, une simple étude peut lui demander des heures. Son travail au pastel est comme il le dit « une superposition de couches de transparences », quand lui-même ne peut guère passer pour « transparent ». Ses « pitances terrestres », des œufs ventrêche – au petit-déjeuner – sont à l’exact opposé de ses nourritures spirituelles, faites de légèreté, de lumière et d’ombre.

Artiste, il l’a toujours été, même derrière le guichet d’une banque pendant quelques années ou dans un gourbi de gardien de nuit pendant dix ans ; il aurait pu être musicien, compositeur, il a choisi le dessin.

Ses tableaux sont l’exact opposé d’une photographie qui fige le temps. Ses compositions suspendent le temps « juste avant » ou « juste après » dans une invite à poursuivre ; au spectateur de remplir la scène, le cadre qu’il offre, mais il suggère aussi des directions ; à voir le pli des draps ou la disposition des oreillers, on imagine tout de suite que le lit a été le lieu d’une scène d’amour ou de désespoir. Sa grande habileté est toujours de suggérer et de ne jamais montrer.

Il est intime, pudique, mais il sait aussi être le démiurge de nos fantasmes, suggérant, sans jamais imposer les lectures de ses tableaux.

Lits, fenêtres, livres, portes…ces objets que l’on trouve si souvent dans ses compositions ont tous pour point commun d’être des sas, des passages dont il est le maître. Il y a un dedans et un dehors pour chacun d’entre eux, et son invitation pour ceux qui l’acceptent, est une invitation à se plonger en soi-même. Il y a toujours un avant et un après, le temps est immobile, suspendu en équilibre, prêt à repartir.

Il nous montre aussi des murs, symboles de l’opacité, de l’obstacle, de l’enfermement, et il réussit à en faire des livres, des poèmes, des ritournelles : il les ouvre pour faire entendre sa musique, chacun de ces murs a une histoire à raconter, ne serait-ce que parce qu’il a servi de support et qu’il garde la trace d’un tableau, d’un graffiti,…

Ces lits défaits, ces oreillers froissés, ces fenêtres entrebâillées, ces livres ouverts sont des fragments du temps silencieux qui appartiennent à celui qui les regarde. François Crabit ne se livre pas, il nous invite à nous plonger en nous-mêmes et à raconter nos histoires, même celles que nous n’aimons pas. Sur ces bancs vides, ces chaises, il nous invite à nous asseoir, pour écouter et voir, ce que nous sommes venus chercher au fond de nous-mêmes, pour écouter les histoires que nous voulons nous raconter.

La lumière est une recherche permanente. La lumière vibre, elle est transparente, elle peut être « d’ombre », sombre. Ses tableaux hésitent toujours entre le figuratif pur comme cette pièce aux volets entrouverts, avec chaise, table, journal, et le « figuratif non-figuratif », où les objets dessinés – une fenêtre masquée par un store – ne sont là que pour suggérer des formes, une muse en page de la lumière et de couleur.

Entre lumière, couleur et temps, François Crabit compose une alchimie si puissante que rares sont ceux qui ont pu rester indifférents.

Noël Courtaigne  04/01/2003



« Regarder un tableau de François Crabit, c’est partir en voyage. On s’élance vers le tableau comme à travers les miroirs de Jean Cocteau et le voyage commence. Un voyage poétique, un peu nostalgique, toujours tendre où l’humour demeure toujours présent sous l’harmonie du trait et la douceur de la lumière.

Face au mur délavé de « Défense d’afficher » la métamorphose s’opère lentement, je deviens mouette ou cormoran et je m’envole au-dessus de la mer –loin…vers les Indes de l’Ouest… »

Dominique Piat - 2004